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Bilan de plus de 10 années d’étude sur le Mérou géant en Guyane

Après 4 mois de stage au GEPOG, Noémie SALIBA a réalisé un bilan des études menées sur le Mérou géant en Guyane, afin de mettre en place des outils de gestion adaptés. Alors que pouvons-nous conclure de ces 10 années d’étude sur le Mérou géant ?

Mérous géants © Geraldecarroll

Une population fortement menacée

Le Mérou géant a vu sa population mondiale chuter drastiquement ces dernières décennies, avec par exemple plus de 84% de baisse des effectifs en Floride depuis 1950. Au Brésil, même constat, l’espèce y a été décimée. Suite à cela, des moratoires interdisant la pêche du Mérou géant ont été mis en place aux Etats-Unis et au Brésil permettant un début de reconstitution des stocks, notamment en Floride. Ainsi, l’espèce classée « en danger critique d’extinction » selon l’IUCN dans les années 80 passe au statut « Vulnérable » en 2018.

En Guyane, l’espèce reste présente, mais est largement méconnue du fait des eaux turbides et de l’étendue de la zone qui rendent les suivis complexes à mettre en place. Le manque de connaissance sur l’espèce, sa démographie, la taille de sa population, ses déplacements ou encore le fait qu’aucun site de reproduction ne soit connu en Guyane et qu’aucun stade larvaire n’ait été observé pousse les chercheurs et les associations à s’intéresser de plus près à cette espèce.

Les premières initiatives sont apparues en Guyane en 2007 sur la Réserve Naturelle Nationale de l’Ile du Grand-Connétable notamment. La réalisation d’une thèse entre 2010 et 2014, dont l’objectif était de décrire la biologie et l’écologie de l’espèce en Guyane, a permis ensuite de collecter la majeure partie des données. La technique de Capture-Marquage-Recapture (CMR) a été largement mise en œuvre. Le GEPOG, gestionnaire de la réserve, a ensuite poursuivi les travaux de marquage permettant alors de disposer de données collectées sur une période de 11 ans.

Bilan de 11 ans de données

Biométrie et biopsie sur un Mérou géant lors des études scientifiques © GEPOG

Depuis 2007, de nombreuses données ont été collectées sur trois principaux sites en Guyane : la Réserve Naturelle du Grand-Connétable, les Ilets de Rémire et les Battures du Connétable.

Au total, 166 sorties en mer ont été réalisées entre 2007 et 2018 et 745 Mérous géants ont été capturés et marqués à l’aide d’un tag externe positionné sur la partie dorsale de chaque animal. Sur ces 745 mérous, seulement 88 ont fait l’objet d’une recapture. Les individus recapturés sur de longues périodes sont plutôt de jeunes mérous qui semblent s’installer et grossir sur place. Les Ilets de Rémire, plus proche des côtes, semblent abriter de plus petits mérous.

Dynamique et survie des populations

Lors du suivi par CMR, peu de déplacements ont été mis en évidence entre les différents sites échantillonnés. Les mérous étaient généralement recapturés sur le site de première capture. Cela peut s’expliquer par un trop faible taux de recaptures ne permettant pas de montrer ce type de déplacements, mais aussi par une migration d’individus sur de grandes distances, un taux de mortalité élevé ou sur la non transmission des tags par les pêcheurs.

Les individus capturés étaient de taille moyenne comparée aux individus mesurés en Floride. Cependant, ce constat est surement lié à la méthode de pêche utilisée en Guyane qui limitait la capture de très gros individus (pêche à la ligne) contrairement en Floride où les observations sont réalisées en plongée.

Selon les données récoltées, plus les individus s’éloignent de la côte et plus leur taille augmente. Cependant, certains poissons de petite taille ont également été observés sur des sites rocheux plus au large alors que l’on pensait que les juvéniles étaient uniquement présents en mangrove. Ceci est peut-être lié aux caractéristiques de la Guyane où les eaux sont turbides et peu profondes sur des kilomètres.

Des individus ont été recapturés sur des pas de temps assez longs (parfois 4 ans plus tard) sur le même site. Ceci démontre donc un comportement territorial de l’espèce. Cependant, la survie apparente semble très faible chez les adultes et plus élevée chez les petits individus.

Déplacements et structuration de la population à grande échelle

Les analyses génétiques effectuées sur les individus capturés montrent qu’il n’y a pas de structuration génétique à l’échelle du continent sud-américain et que les sites guyanais font totalement partie de la population sud-américaine. Ceci suggère donc une dynamique des populations très forte entrainant ainsi un fort taux de migration qui n’a pourtant pas été observé lors de ces études sur les sites suivis en Guyane. Il est possible que l’espèce réalise des déplacements ponctuels à large échelle suivis de longues périodes de sédentarité.

Estimation de la taille de la population

Compte-tenu du faible nombre de recaptures, les données ne permettent pas de calculer une taille de population. Cette dernière semble être sous l’influence de processus de migration, il est donc difficile de réaliser une telle estimation via un protocole CMR sur une population non fermée.

Des réponses amenant de nouvelles questions

Le manque de connaissance et l’état de conservation encore fragile à l’échelle mondiale justifient largement la mise en place de mesures de gestion pour la protection du Mérou géant en Guyane. Actuellement, aucune réglementation n’existe en Guyane sauf pour la pêche de plaisance en mer où un arrêté préfectoral autorise la capture d’un mérou par bateau et par sortie.

Des études qui soulèvent de nouvelles interrogations

  • De quelles populations dépendent la production larvaire en Guyane ?

Même si l’hypothèse des stocks de larves provenant du Brésil expliquerait l’absence de sites de reproduction en Guyane, cela n’exclue pas d’autres pistes possibles comme la présence de ces sites en eau saumâtre/douce ou sur des fonds plus profonds.

  • Où sont situés les autres sites de forte présence de mérou en Guyane et où se trouvent les adultes ?  

Les eaux guyanaises présentes de nombreuses épaves et sites rocheux plus au large qui pourraient abriter des Mérous géants adultes, mais aucune prospection n’a pour l’instant été réalisée sur de tels sites.

  • Où se reproduisent les individus ayant grandi en Guyane ?

Le peu de recaptures et l’absence de période de reproduction soulèvent l’hypothèse d’une dispersion définitive des grands adultes vers le Brésil ou le nord-ouest en direction de la région des Caraïbes ou peut-être en Floride.

Comment répondre à ces nouvelles questions ?

La méthode CMR ne semble pas adaptée pour répondre à toutes les questions posées. Il faudrait également une implication et un engagement de l’ensemble des pêcheurs pour réussir à obtenir des jeux de données conséquents. Toutefois, des méthodes existent et peuvent être mises en place:

  • Les balises satellites et la télémétrie acoustique

Le matériel disponible sur le marché à l’heure actuelle, balises PSAT et émetteurs VEMCO, permettrait de réaliser un suivi des déplacements à petite et grande échelle. Ceci apporterait donc de nombreuses données sur la dynamique des populations et échanges avec d’autres territoires.

  • Le suivi par photo-identification

Chaque mérou présente une coloration et des marques uniques qui permettent de les reconnaitre. Ainsi, la photo-identification pourrait être mise en œuvre sur quelques sites très fréquentés (Battures du Connétable par exemple).  Les pêcheurs étant habitués pour la plupart à prendre des photos de leurs captures, leur transmission et leur traitement permettraient de mener un suivi et estimer un effectif sur un site restreint.

  • Le recours à l’ADN environnementale

Cette méthode consiste à se servir de la génétique pour mettre en évidence la présence d’espèces dans différents milieux. Ceci, en collectant et filtrant des échantillons d’eau puis en menant des analyses en laboratoire qui permet de relever des traces d’ADN et identifier des espèces. Ainsi, plusieurs sites peuvent être prospectés sans avoir à capturer les animaux.

En attendant la mise en place de nouveaux suivis scientifiques, dont certains devraient voir le jour dans les deux années à venir, le GEPOG coordonne les actions du projet LIFE BIODIV’OM en Guyane qui comprend une démarche de concertation avec les acteurs de la pêche, décideurs et gestionnaires pour une gestion durable du Mérou géant en Guyane.

Pour en savoir plus sur les actions du LIFE mises en place pour protéger le Mérou géant

Rapport de stage original